CD92/Julia Brechler
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MARCEL RUFO "Sa vocation est de lutter contre la déscolarisation"

La « Maison de l’Avenir » est placée sous l’autorité scientifique du professeur Marcel Rufo. Pour le pédopsychiatre, trop de jeunes issus de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) éprouvent des difficultés à s’insérer professionnellement.

En cette rentrée est inaugurée la préfiguration de cette structure unique en France. À qui s’adresse-t-elle ?

MR : Aujourd’hui dans notre pays, tous les enfants n’ont pas les mêmes chances de réussite. Alors même qu’ils affichent des résultats scolaires prometteurs, trop de jeunes placés au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) se retrouvent sans perspectives. Comme son nom le laisse deviner, la raison d’être de cette Maison est de les aider à construire leur avenir, en leur donnant la chance de s’émanciper par le travail et la vie professionnelle. Ce faisant, cet établissement innovant et pluridisciplinaire viendra non seulement accroître la capacité de prise en charge et d’hébergement du Département – un enjeu majeur – mais aussi enrichir son offre d’établissements adaptés à la diversité des profils qui lui sont confiés.

Près de 4 000 jeunes relèvent de l’ASE dans les Hauts-de-Seine. Comment seront-ils sélectionnés ?

MR : Soulignons que la « Maison de l’Avenir » n’est pas appelée à devenir un établissement « élitiste ». C’est une voie supplémentaire offerte à près de 70 bénéficiaires, âgés de 12 à 18 ans, qu’ils fassent l’objet d’une décision de placement ou d’une mesure d’aide éducative à domicile. Seront pris en compte tant leurs performances scolaires, que leur investissement personnel et l’avancement de leur projet professionnel. Le processus de sélection sera assumé par la direction de l’établissement, sur proposition des équipes éducatives de l’Aide Sociale à l’Enfance, en charge du suivi du parcours de ces jeunes, dans le souci de maintenir les repères et assurer une transition en douceur avec leur ancien lieu de vie.

On peut dire que cette maison apportera sa pierre à l’égalité des chances...

MR : Sa vocation est de lutter contre la déscolarisation de ces adolescents, un phénomène qui les frappe prioritairement. Victimes de la spirale du décrochage scolaire, ceux-ci sont trois fois plus nombreux que les autres enfants à quitter l’école avant 16 ans ! Le point de bascule s’opère entre le cours primaire et le collège, c’est pourquoi nous allons agir à la racine, dès leur entrée en 6e, en les accompagnant jusqu’à leur majorité, voire au-delà… Pour les conforter dans leur parcours, un « contrat jeune majeur » sera systématiquement proposé à ceux qui aspirent à des études de longue durée.

Concrètement, quelle forme prendra leur « parcours d’insertion sociale et professionnelle » ?

MR : Qu’ils soient internes ou placés en accueil de jour, ces jeunes fréquenteront les collèges et lycées environnants, ce qui leur permettra de se mêler aux autres élèves de leur âge. Leur encadrement socio-éducatif sera renforcé par des cours particuliers, qui pourraient être assurés par des étudiants de l’université Paris-Nanterre en fin de journée. En filigrane, nous espérons amorcer un processus d’identification vis-à-vis de ces jeunes adultes, afin que les métiers intellectuels soient à l’avenir envisagés au même titre que les filières manuelles, selon leurs goûts et leurs centres d’intérêt. Dans le même esprit, des ponts avec les internats d’excellence de l’Éducation nationale seront lancés.

Votre approche est novatrice, en cela qu’elle associe ce volet socio-éducatif et à des soins médico-psychologiques...

MR : Depuis trop longtemps, la pédopsychiatrie aborde la protection de l’enfance sous le seul angle social et non-médical. Or, les principaux concernés sont près de 40 % à souffrir de troubles psychiques, au premier rang desquels figure la dépression. Psychiatres, pédopsychiatres, éducateurs, orthophonistes, psychomotriciens… Ces professionnels de santé assureront un suivi dans plusieurs spécialités. Parties intégrantes du projet, des sorties sportives et culturelles – en partenariat avec des établissements culturels du territoire – contribueront à leur équilibre, à leur ouverture sur le monde et à leur développement relationnel.

Comment le projet scientifique a-t-il influé sur le projet architectural ?

MR : Le Département a tenu à aménager cette maison, implantée dans un quartier résidentiel de Nanterre, sur le modèle d’un foyer familial. Il s’est agi de recréer le cocon dont ces enfants ont longtemps été privés. L’équipement, scindé entre un bâtiment principal et une annexe, offrira un cadre adapté à chaque tranche d’âge. À noter qu’à terme, toutes les chambres seront individuelles : l’intimité de ces adolescents sera donc préservée, une attente forte de leur part. Quant aux espaces extérieurs, arborés avec un accès sécurisé, ils concourront au bien-être et à la sérénité.

Quel sera le rôle du comité scientifique auquel vous participerez ?

MR : Cette instance sera chargée d’identifier les leviers de réussite et de préconiser, le cas échéant, les adaptations à apporter à ce projet expérimental et, par nature, évolutif. Parallèlement, ce comité entamera un travail de publication voué à documenter scientifiquement nos retours d’expérience. Cette production sera utile à tous les Départements désireux d’« innover pour mieux protéger ». Plusieurs collectivités territoriales ont déjà manifesté leur intérêt.

Propos recueillis par Nicolas Gomont.

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