CD92/Olivier Ravoire
Posté dans REPORTAGE

UNE CHAMBRE D’AMI POUR SAUVER DES VIES

 

Promu par l’association Un Abri qui sauve des vies, l’hébergement citoyen consiste à recevoir chez soi une victime de violences conjugales. Une chaleur humaine qui peut faire la différence. 

À lui seul, le lit est une promesse pour celles qui n’ont pas dormi, ou si mal, depuis des nuits. Dès que cette chambre d’ami sera libre, ainsi en ont décidé Laura et Pierre, des femmes en détresse y seront les bienvenues. Psychanalyste, bénévole auprès de victimes de violences, l’Asniéroise Laura Gélin savait « combien il est important pour elles de s’extraire de leur environnement : Il me semble qu’il est plus facile d’accepter d’être hébergé chez un particulier que d’aller dans un foyer. J’ai pris conscience qu’accueillir quelqu’un ici pouvait changer son destin ». Pierre, lui, voyait cette initiative comme « un partage de valeurs » avec leurs filles, pas moins enthousiastes. Après avoir décliné deux sollicitations faute de disponibilité, la famille a accueilli Samia* en juin. « C’est une femme trentenaire qui avait fui son mari mais n’avait pas été soutenue ; le mariage était arrangé par sa famille. N’ayant nulle part où aller, elle dormait dans les urgences d’un hôpital depuis deux mois… »

 

À Asnières, Laura et Pierre sortent de leur première expérience convaincus du bien-fondé de ce modèle.© CD92/Olivier Ravoire

Un Abri est un projet dont la portée a dépassé ses initiateurs. Quand les statuts ont été déposés en 2020, la directrice Charlyne Péculier terminait son master en communication. « Avec la promiscuité du premier confinement, les signalements de violences ont augmenté. Au même moment les particuliers qui accueillaient chez eux des soignants nous ont inspirés : il suffisait d’un site web pour avoir beaucoup d’impact. » Après son passage dans « Ça commence aujourd’hui » sur France 2, le projet « a été obligé de se structurer tant le besoin était énorme. » En 2024, les places dédiées aux victimes, « multipliées par deux au cours de la décennie écoulée », restent insuffisantes (11 000 réservées à ce public, 200 000 pour les sans domicile ou mal logés, Ndlr). Pis, « 40 % des femmes n’ont nulle part où aller au moment où elles veulent partir ». Aujourd’hui, trois salariés et plus de 350 bénévoles dont 88 en Île-de-France sont de ce combat. « On est là pour donner aux victimes le choix de la manière dont elles vont être hébergées quand elles n’ont d’autre choix que d’être mises en sécurité. » « Universel », Un Abri s’adresse aussi aux hommes (5 % des abrités) et aux victimes de violences intrafamiliales – « par exemple pour des questions d’orientation sexuelle ».

 

L’HÉBERGEMENT CITOYEN S’AVÈRE PROMETTEUR POUR UNE SORTIE PÉRENNE DES VIOLENCES : LE TAUX DE RETOUR CHEZ L’AGRESSEUR S’AVÈRE INFÉRIEUR À 1 %.

 

ESPACE DE PAIX 

Les abritants, un terme taillé pour le rôle, sont 127 en Île-de-France dont 22 dans les Hauts-de-Seine. « On peut habiter un studio comme une immense maison. L’important est de respecter les besoins de la victime, de lui offrir un espace de paix qui l’aidera à reprendre un cap de vie », explique Marie Gaboriau, chargée du recrutement. Lors de l’entretien inaugural, ses bénévoles sont formés à détecter les attentes inappropriées et s’informent des spécificités de chacun. « Certains ne sont pas à l’aise avec les enfants, d’autres avec les animaux. Cela nous permet d’être plus réactifs le moment venu… » Ils sondent aussi la vulnérabilité des anciennes victimes qui risquent de « s’imprégner de la douleur de l’autre » sans les exclure d’emblée. Au nombre de celles-ci, Charline Van Snick s’est sentie prête en août dernier à accueillir Céline, 25 ans qui dormait dans sa voiture. « J’avais fait un travail sur moi-même et j’étais contente de l’aider dans la mesure de mes moyens. Elle était à la rue et j’étais passée par là. » Montée à Paris pour un stage, fuyant l’escalade des violences avec son « fiancé », l’étudiante, après avoir essuyé un premier refus de prise en charge faute de justificatif de domicile, avait été dirigée vers un Abri par le 3919. Deux jours seulement après sa prise de contact, elle emménageait à Neuilly-sur-Seine : « J’avais une appréhension en arrivant mais Charline m’a prise dans ses bras, m’a dit que tout allait bien et que j’étais en sécurité. C’est à ce moment-là que j’ai pu me laisser aller ; j’avais un fardeau trop lourd à porter… » confie Céline.

 

Malgré un passé douloureux, Charline Van Snick s’est lancée en recevant une victime chez elle à Neuilly.© CD92/Olivier Ravoire

MOMENT PRIVILÉGIÉ

La confidentialité fait l’objet d’un contrat en bonne et due forme entre les deux parties. « Il faut essayer de créer un lien de confiance, insiste Charlyne Péculier. Les abritants ne doivent pas être inquiétés et craindre que leur adresse soit dévoilée. » Le temps du séjour, un référent s’assure que tout se passe bien. Celui-ci n’est pas en contact avec la victime pour éviter que « certaines problématiques ne soient tues, par gêne ou par culpabilité » : une personne qui fume dans le logement, un animal de compagnie agressif… « On est très accompagnés, en cas de souci ce n’est pas à nous de gérer mais à l’association », explique Laura, convaincue du bien-fondé de ce modèle. « Pendant deux jours, Samia a dormi et lancé des machines à laver. Après ça, la journée, elle sortait faire ses démarches. Le soir, on prenait des nouvelles et on l’encourageait, ça change tout ! L’avoir vue si rapidement recontacter son ancien patron et prendre ses rendez-vous m’a marquée. » En définitive, tous les habitants de la maison ont passé avec elle un moment privilégié : « J’ai eu une longue discussion avec elle, dit Pierre. Nos filles Anna et Lou également et elles ont dîné avec elle toutes les deux. » La jeune femme repartie, « la vie a continué ». « On a donné un coup de pouce et on est prêts à recommencer. S’il y a un message à faire passer à d’autres familles, c’est que ce n’est pas trop lourd à gérer. » À Neuilly-sur-Seine, Céline étant visiblement plus à l’aise avec Charline, le compagnon de celle-ci a su « s’effacer » pour laisser place à un quotidien partagé entre repas, jeux et balades escortées par les trois chiens. Un retour « à l’essentiel, au plancher des vaches comme on dit », sourit Charline. Pendant ses vacances, le couple a même accepté de laisser ses clés à sa protégée pour lui épargner un nouveau déracinement. Au bout de trois semaines, « grâce à un travail partenarial », Céline a pu être orientée vers l’association Les Princes de la Rue qui l’héberge actuellement. « Du début à la fin j’ai reçu un soutien incroyable ! Un Abri et Charline, c’est le combo qui m’a permis de m’en sortir, si je me suis relevée aussi vite, c’est grâce à eux. » 

RECONSTRUCTION 

Concept encore jeune, l’hébergement citoyen s’avère prometteur pour une sortie pérenne des violences : quelle que soit la solution par la suite – parc privé, social, accueil chez un proche, accueil d’urgence – le taux de retour chez l’agresseur s’avère inférieur à 1 % contre sept allers et retours d’ordinaire. « Il est probable que le partage d’un quotidien normal et sain puisse favoriser pour la victime la sortie de l’emprise ainsi qu’une visibilité sur sa vie future et sa reconstruction », suggère Charlyne Péculier. Lauréate des programmes Progr’ESS du Département et P’INS dédiés aux projets socialement innovants, l’association est accompagnée dans son changement d’échelle et essaime peu à peu grâce à ses antennes régionales (trois ce jour). À horizon 2027, elle ambitionne de couvrir 10 % des places non pourvues en hébergement d’urgence. « Cela signifierait entre 1 000 et 1 500 abritées par an ; pour l’instant nous sommes à une bonne centaine. » Cet essor reposera sur les partenariats noués localement et sur le vivier des bénévoles, abritants compris. Un « parcours d’engagement » a été créé avec des paliers d’implication croissants : de la permanence téléphonique au suivi d’un abrité, du contact avec les abritants à la coordination d’un hébergement. « L’avantage d’un Abri, c’est que l’on peut être très investi depuis son domicile car la plupart des missions ont lieu à distance. Nos bénévoles peuvent participer concrètement à la lutte contre ces violences malgré un quotidien souvent chronométré », souligne Marie Gaboriau. 

unabriquisauvedesvies.fr

*Le prénom a été modifié

 

LE DÉPARTEMENT MOBILISÉ CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES 

Le 25 novembre, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes donnera lieu à de multiples actions de sensibilisation sur le territoire. Soutien de longue date des associations spécialisées, le Département leur aura consacré 1,9 M€ en 2024 en vue d’actions de prévention, d’accueil et d’écoute (dispositif Femmes victimes de violences, « FVV92 ») ainsi que d’accompagnement vers la sortie des violences (« téléphone grave danger », mise à l’abri, aide aux victimes). Dans le cadre de la stratégie 2023-2025 en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, un observatoire départemental dédié a aussi été créé pour développer des réponses innovantes.www.hauts-de-seine.fr

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