Labellisé « Artisan du Tourisme » par le Département, Cristal Benito perpétue depuis 1952 l’art du cristal taillé à main levée, un savoir-faire unique. Gardien de cet héritage, Franck Benito signe des pièces de grand luxe et de renommée internationale.

 

C’était l’année 1927, 188 bis rue Gabriel-Péri, José Benito, immigré espagnol, s’établissait à Colombes comme boucheur à l’émeri. L’impasse, qui mènera plus tard à l’atelier de taille de Martin, le fils, est un couloir du temps. « Ici, rien n’a changé depuis les années 1950, dit Franck, le petit-fils. C’est là que tout se faisait, et que tout continue de se faire, depuis le premier dessin jusqu’à l’emballage de la pièce à expédier. » Lui-même tailleur de cristal, sous la tutelle paternelle jusqu’en 2004, l’artisan a tout acquis et rien hérité. « J’ai dû accepter la lente progression de l’apprenti, les écueils, les échecs, et affronter ma propre vanité : je m’imaginais pouvoir tout réinventer ! », confie-t-il. La matière, en provenance d’Italie ou de Tchéquie, teintée dans la masse ou en surface, n’a plus de secrets à lui livrer.

ŒUFS DE FABERGÉ

À l’atelier, bottes de caoutchouc et tablier, il ébauche, taille et polit, passant tour à tour de la sueur au front – son « Vase-Ruhlmann », « c’est 7 à 8 kg » – aux sueurs froides – l’épaisseur, « en deçà de 2 mm, ça casse ! ». Ce que le cristal perd, il le gagne en éclat. Sûr de son art – tailleur ou sculpteur ? – il jongle entre le calepinage et ses meules, « de carborundum et de grès pour la taille, de liège et de feutre pour le polissage », précise-t-il. Le verre, il s’en faut de beaucoup qu’il le casse. Se méfiant des machines, il s’en remet à l’œil… et sa dextérité et l’expérience font le reste. Tout son plaisir consiste à démultiplier tailles (« Drapée » ; « Bambou » ; « Feuillage »…), styles (Napoléon III, Art Déco, Contemporain) et supports (agate d’Inde ; obsidienne d’Arménie ; jade de l’Himalaya), non pas tant par facétie que par envie de dépoussiérer son art. « J’ai attendu la disparition de mon père pour cela… » À ce jour, il s’est fait une spécialité des appliques murales, et ceux qui le suivent de près lui prêtent un penchant pour le motif « nid d’abeille ». Maître d’art certifié, Franck Benito chérit ces petits riens invisibles au client des ersatz usinés en série. « Il y a ces aspérités à la surface du cristal, typiques du travail artisanal. Quant aux pierres, elles sont uniques par nature. » Au catalogue, cela donne une procession de pièces intemporelles, à usage décoratif ou utilitaire. Qui aime l’oliban se laissera bien tenter par cet « Œuf encens style Fabergé », taille « Diamant Pierrerie » et montage poisson antique. Qui préfère les œufs d’esturgeon cédera plutôt à ce « Bar à caviar », taille « Étoile à 32 facettes » (l’iconique), montage ours ou éléphant, serti de rubis ou diamants…

 

MAÎTRE D’ART CERTIFIÉ, FRANCK BENITO CHÉRIT CES PETITS RIENS INVISIBLES AU CLIENT DES ERSATZ USINÉS EN SÉRIE

SUCCESSION

Autant de ravissements qui se dévoilent à petite échelle dans un salon où Franck Benito sait recevoir – comme, en 2024, le cheikh Al Thani (frère de l’émir du Qatar) en personne, en vue des préparatifs de son mariage. « Avec le roi du Maroc, on traite en direct pour ses soirées à thème, et pour les autres, le traiteur Caviar Kaspia à la Madeleine joue pour nous les intermédiaires. » À sa clientèle, il en coûtera quelques milliers, voire quelques dizaines de milliers d’euros ; le juste prix pour des pièces alors uniques, sur-mesure et made in France. La concurrence s’appelle Saint-Louis, Daum et surtout Baccarat, qui longtemps tailla des croupières à Cristal Frères – rebaptisé Cristal Benito – « bien que nos gammes diffèrent ». Franck a paré des hôtels, des palaces, des yachts, des villas, « et pourquoi pas bientôt l’Orient-Express… » La guerre en Ukraine a ceci dit rebattu les cartes d’un marché autrefois prospère, et l’artisan œuvre « en ce moment » en solitaire. « De toute manière, le sur-mesure, il n’y a que moi qui puisse le faire. » À ce père de deux filles, graphiste et ostéopathe, il tarde de se trouver un successeur de taille. Seule certitude, Cristal Benito continuera de creuser ses sillons à Colombes. 

Nicolas Gomont

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