L’exposition Atala, 1801, Voyage illustré au cœur d’un roman, à la Maison de Chateaubriand à partir du 4 octobre, nous accompagne dans une excursion inattendue autour du premier chef-d’œuvre de l’écrivain.
Par Didier Lamare
La publication en 1801 de son roman Atala et le succès qui s’ensuit aussitôt bouleversent la vie de Chateaubriand, au point, raconte-t-il, que l’argent gagné lui permet d’acheter le domaine de la Vallée-aux-Loups. L’histoire de ce livre – et de tout l’imaginaire qu’il a fait naître dans un siècle qui se cherche – débute en 1791, quand Chateaubriand embarque pour l’Amérique du Nord ; il n’a pas encore 23 ans. « Chateaubriand part pour le Nouveau Monde comme un aventurier en quête d’inspiration, explique Anne Sudre, directrice de la Maison de Chateaubriand et commissaire de l’exposition. Il vit pendant six mois avec les Indiens, et commence à prendre des notes. C’est en Amérique que naît le roman Atala, dans le sillage de trois sources d’inspiration littéraire : le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) de Rousseau, Les Incas ou la destruction de l’Empire du Pérou (1777) de Marmontel, et surtout Paul et Virginie (1788) de Bernardin de Saint-Pierre. Son écriture est aussi nourrie de récits de voyageurs, d’explorateurs, de naturalistes en Amérique du Nord, dont William Bartram qu’il a pu lire là-bas. »
Aux références puisées dans les bibliothèques, on aurait envie d’ajouter Roméo et Juliette de Shakespeare, tant l’histoire des amours empêchées de la belle Atala et du valeureux Chactas y fait penser, poison y compris. Et si le roman assure à Chateaubriand un avenir meilleur, le manuscrit glissé dans son sac lui aurait même sauvé la vie, à son retour en France, lors du siège où il est engagé au sein de l’armée contre-révolutionnaire : « […] deux balles avaient frappé mon havresac pendant un mouvement […] Atala, en fille dévouée, se plaça entre son père et le plomb ennemi », écrit-il dans les Mémoires d’outre-tombe.
SUCCÈS POPULAIRE ET OBJETS DÉRIVÉS
Comment cette « fille dévouée » a-t-elle rencontré l’histoire de la littérature et le succès populaire ? C’est tout le propos de l’exposition, qui puise dans les quelque 300 pièces de ses collections à destination d’un public beaucoup plus large que le connaisseur bibliophile. Cela commence par la grâce de l’écriture. « Chateaubriand met en scène des personnages tourmentés par leur passion, poursuit Anne Sudre, il associe les sentiments à la nature et ses descriptions sont d’une puissance et d’une richesse extraordinaires. La beauté de son écriture aux accents poétiques renouvelle la prose classique. Atala en 1801, puis René qui est publié l’année suivante portent en eux les germes du romantisme en France. » Le succès est impressionnant. En 1805, soit quatre ans après la première édition, Atala a été réédité douze fois – même si l’on ne connaît pas exactement les tirages, c’est douze fois plus qu’envisagé. Cela génère des revenus et, puisqu’il n’existe pas encore de protection du droit d’auteur, cela suscite des vocations chez des éditeurs pirates. Alors, soit on méprise, soit on se déplace… Chateaubriand se déplacera lui-même en Avignon pour faire saisir des contrefaçons dès 1802. La société française – du moins celle qui a accès au livre – découvre la peinture du sentiment romantique, qui est aussi consolation et reconstruction après le tumulte de la Révolution. « Atala arrive dans un moment où l’exotisme “ressource”, pour le dire avec les mots d’aujourd’hui. Très rapidement, tous les arts s’emparent des principaux épisodes de l’histoire, dans un phénomène comparable, en plus impressionnant encore, à celui suscité par Paul et Virginie. Et cela a duré tout le siècle. L’ouvrage lance même une coiffure à la mode, avec des plumes. » On retrouvera très longtemps après cet imaginaire de l’Indien : en 1946 est publiée une édition d’Atala illustrée par Peccadet, qui rappellera aux connaisseurs la bande dessinée Oumpah-pah de Goscinny et Uderzo, imaginée dès 1951. Certains des « objets dérivés » sont des chefs-d’œuvre : Atala au tombeau, de Girodet, illustre toutes les couvertures des éditions de poche – la Maison de Chateaubriand en conserve des études préparatoires ; ou La Veillée funèbre d’Atala, du peintre belge Louis Tiberghien, récente acquisition du Domaine départemental. D’autres sont des curiosités qui racontent d’étonnantes histoires. Ainsi la gravure en 1875 d’une scène d’Atala sur une huître perlière – ce qui va bien à l’exotisme du sujet – par Joseph Müller, condamné au bagne de Nouvelle-Calédonie pour fabrication de fausse monnaie ! « La scène provient d’un tableau qui était conservé au musée du Havre, dont il avait eu connaissance par un article illustré dans un journal qui était parvenu à Nouméa. Le tableau ayant disparu dans un bombardement durant la Seconde Guerre mondiale, il n’en reste plus que sa représentation sur la nacre de l’huître… »