Avec Merveilles ! le Musée national de céramique de Sèvres célèbre ses 200 ans avec une facétieuse fête d’anniversaire. Jusqu’au 10 mars.
Par Didier Lamare
Le « musée céramique et vitrique », comme on l’appelait, a été fondé en 1824 par Alexandre Brongniart (1770-1847), directeur de la Manufacture de Sèvres de 1800 à sa mort, chimiste et minéralogiste, fils de l’architecte du Palais de la Bourse à Paris. Pour être précis, le musée n’a pas été fondé exactement là, ni avec les mêmes intentions… Petit retour en arrière historique : quand la manufacture a été transférée de Vincennes à Sèvres en 1756, elle fut implantée par Madame de Pompadour sur le coteau, à proximité de son château de Bellevue. L’édifice existe toujours, à l’enseigne de France Éducation International, naguère Centre international d’études pédagogiques et autrefois École normale supérieure de jeunes filles. C’était donc sur ce premier site, au sein même de la manufacture, que les premières pièces furent réunies, avant qu’en 1876 manufacture et musée n’intègrent leurs nouveaux bâtiments en bordure de la Seine et du parc de Saint-Cloud. L’idée que se faisait Alexandre Brongniart d’un musée n’était pas non plus celle d’aujourd’hui : « C’est un scientifique, explique Anaïs Boucher, cheffe du service des collections par intérim et commissaire générale de l’exposition Merveilles ! Il veut améliorer la production de la porcelaine en étudiant toutes les pâtes céramiques du monde, comprendre les argiles, les cuissons… Il voit le potentiel qu’il y aurait à disposer, dans la manufacture, d’une collection d’étude, un musée qui servirait ses buts. À destination des savants comme lui et des artisans d’art, il n’imagine pas le public visiter cette collection qui ne présente pas de pièces brillantes. Il écrit d’ailleurs que le matériau de son Traité des arts céramiques, c’est le musée ! » Un ouvrage de référence où il avoue son obsession pour les petites étiquettes descriptives qu’il accroche aux objets.
CONTES ET MERVEILLES
L’exposition d’anniversaire prend le contre-pied de la manière de Brongniart et du premier conservateur en titre, Denis Désiré Riocreux (1791-1872), un ancien peintre de la manufacture qui assurera la pérennité du musée. Quelque chose d’inspiré par les aventures d’Alice au pays des merveilles, qui serait descendue dans les réserves – 50 000 pièces tout de même, qui traversent le temps et les continents depuis la préhistoire ! – pour en remonter, au gré de rencontres fortuites, plus de 500 objets « extravagants, virtuoses ou insolites ». En ne s’interdisant aucun carambolage esthétique, en privilégiant le spectacle joyeux d’une matière inépuisable ordonnée selon dix thématiques dont certains intitulés – « La maison des contes », « Les inattendus », « Tout ce qui brille », « La chambre des merveilles »… – disent bien qu’on échappe à l’étiquette du XIXe siècle ; sans pour autant oublier, entre les lignes, l’histoire des objets. « Nous nous sommes appuyées sur l’idée de classement subjectif des collections du musée, précise Anaïs Boucher, à la manière de ce que l’on trouvait dès la Renaissance dans les cabinets de curiosité, où les objets pouvaient être présentés par couleur, par matière, par forme… Finalement, qu’est-ce qu’une collection, sinon des objets que l’on choisit et que l’on ordonne selon une ou plusieurs caractéristiques ? » L’exposition Merveilles ! ouvre donc sur les origines, c’est-à-dire le cabinet du savant imaginé par Brongniart et Riocreux, pour ensuite courir à travers les salles, dont la scénographie signée Studio Matters participe à l’esprit de fête, un peu comme Alice derrière le lapin blanc… Certains des thèmes tombent évidemment sous le sens : les lointains aux parfums exotiques sur les routes de la Chine et du Japon, du Pérou et du Mali ; la vie en rose comme défi technique, le pouvoir des fleurs au nom du premier des sujets du royaume de Sèvres. D’autres au contraire mettent le visiteur sens dessus dessous ! Yeux de verre, mille-feuilles d’ardoise calcinée, théière veilleuse à chapeau vert, galerie de portraits inquiétants ou farfelus, jusqu’à la fantastique table d’anniversaire digne du chapelier fou. « Nous avons eu l’envie d’être un peu irrévérencieuses. On a empilé des objets, on a renversé des théières, comme dans nos réserves qui ne sont pas organisées en vitrines ! On propose aux visiteurs un voyage de l’autre côté du miroir, une mise en scène spectaculaire de ce qu’ils ne voient jamais, où nous avons aussi sélectionné nos coups de cœur pour la chambre des merveilles : de petits chefs-d’œuvre que nous sommes ravies de mettre en lumière à l’occasion des 200 ans. »