Jean Véber, La Foire de Saint-Cloud, 1909. CD92/Château de Sceaux -Musée départemental/Pascal Lemaître
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LA PARTIE IMMERGÉE DE L’ICEBERG

Avec Trésors et coulisses, le Château de Sceaux, musée départemental, puise dans ses réserves afin d’éclairer la face cachée de ses collections. À découvrir dès le 19 septembre dans les Anciennes Écuries et jusqu’au printemps 2026.

Par Didier Lamare

 

Le musée départemental, aujourd’hui dédié aux différents propriétaires du Domaine de Sceaux et au goût français, de Louis XIV à Napoléon III, fut à l’origine un musée de l’Île-de-France, ouvert en 1937 et nourri d’une partie des collections du musée Carnavalet. Une Île-de-France historique, plus vaste que dans ses frontières administratives, qui irait de Chantilly à Chartres. « Il s’agissait de documenter une région en cours de transformation, explique Céline Barbin, cheffe de l’unité conservation au château de Sceaux, l’urbanisation rapide entraînant la disparition de certains bâtis, de certains petits métiers, en quelque sorte d’un mode de vie. La documentation comprend beaucoup d’estampes et de dessins. Nous avons par exemple des séries entières d’églises de la région et de centres de villages, une collection de peintures de paysages franciliens au XIXsiècle… Il y eut une inflexion à partir des années 90 avec de très belles acquisitions en lien avec le domaine lui-même : les chefs-d’œuvre peints par François de Troy et la commode en laque de Coromandel, qui faisaient partie des collections de la duchesse du Maine. Cela a permis de recentrer le parcours permanent sur l’histoire du domaine et de ses propriétaires, et de lier plus fortement l’intérieur du château et les extérieurs du parc. »

 

Jean Delpech, Autoroute du Sud, 1960.© CD92/Château de Sceaux -Musée départemental/Benoît Chain/ADAGP
Louis Carrogis, dit Carmontelle, Les Quatre Saisons (détail), 1798.© CD92/Château de Sceaux -Musée départemental/Pascal Lemaître

La collection départementale, dont la plus vaste partie demeure invisible dans les réserves, est constituée d’à peu près 15 500 objets rassemblés autour du fonds d’origine grâce à des acquisitions, des legs et donations comme celle du peintre Jean Fautrier. Elle provient aussi d’occasions variées, à l’image de la collection de bicyclettes de Robert Grandseigne que l’on a pu voir la saison dernière, ainsi que de la tenue, pendant des années au château de Sceaux, d’un prix de peinture et d’arts graphiques de l’Île-de-France, dont les œuvres distinguées par le jury intégraient les collections. Autant dire que l’ensemble est très éclectique : des chefs-d’œuvre de la peinture du XVIIIe siècle à un étonnant paysage de 1960 signé Jean Delpech, Autoroute du Sud, avec engins de chantier et avions sur la piste d’Orly ; ou, si l’on veut mesurer les choses, de la minuscule monnaie antique à l’automotrice Z de la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris, conçue spécialement pour la « ligne de Sceaux » – devenue RER B -, déposée dans la réserve historique de la RATP à Villeneuve-Saint-Georges, et qui est évoquée dans Trésors et coulisses par des photos et une banquette.

 

LE SENTIMENT D’ÊTRE INVITÉ DANS LE CABINET DE CURIOSITÉS D’UN CONSERVATEUR-COLLECTIONNEUR RAJOUTE AU PLAISIR DE LA VISITE

 

Collection de bicyclettes de Robert Grandseigne.© CD92/Olivier Ravoire

UN CABINET DE CURIOSITÉS

En ce qu’elle nous montre, qui ressurgit de réserves échappant d’ordinaire à la connaissance du visiteur, l’exposition suggère un aperçu du fonctionnement d’un musée. Aux nécessités de service relatives à l’entretien, la conservation, le conditionnement, la valorisation, la documentation, l’exposition des œuvres, voire au transport de celles qui sont prêtées, s’ajoute l’obligation, pour un musée de France, de procéder au « récolement décennal » qui impose de « vérifier, sur pièce, et sur place, à partir d’un bien ou de son numéro d’inventaire, la présence du bien dans les collections du musée, sa localisation, son état, son marquage, la conformité de l’inscription à l’inventaire avec le bien lui-même, ainsi que, le cas échéant, avec les différentes sources documentaires, archives, dossiers d’œuvre, catalogues ». L’opération en cours s’achève le 31 décembre 2025 – et une nouvelle reprendra le 2 janvier. « Autant dire que les réserves sont un endroit où nous sommes amenés, les uns ou les autres, à nous rendre à peu près tous les jours ; c’est un espace où il y a de la vie, du mouvement », souligne Céline Barbin.

Comme il n’était pas question pour cette exposition de « déshabiller Pierre pour habiller Paul », ou plutôt de vider le château pour remplir les écuries, les réserves ont servi à créer des liens avec le parcours permanent en sollicitant l’inédit, l’invisible, le témoignage de ce qui y demeure enfoui jusque parfois dans la mémoire des acteurs de l’institution. Comme un carottage dans la partie immergée de l’iceberg… Le sentiment d’être invité dans le cabinet de curiosités d’un conservateur-collectionneur rajoute au plaisir de la visite : « Le fil d’Ariane du parcours serait le cheminement de l’œuvre au sein du musée, en commençant par la constitution et l’enrichissement de la collection, son historique, les œuvres majeures, celles qui sont peu connues, voire presque oubliées ; également les chefs-d’œuvre tenus dans les réserves pour des questions de préservation ; et enfin la conservation au sens large, restauration et récolement. Le choix des œuvres s’est fait de manière collégiale, et je dois avouer que, pour une fois, le critère affectif est entré en ligne de compte. »

Au-delà des pièces rares attendues, comme le transparent Les Quatre Saisons de Carmontelle, dont la fragilité explique qu’il garde ses distances avec la lumière, les coups de cœur sont nombreux – et chacun aura le sien. Parmi ceux de Céline Barbin, il y a une grande enseigne métallique d’un relais de poste, Aux armes des Condé à Chantilly, exposée pour la première fois depuis plus de trente ans. Ou les dessins et peintures de jardins méditerranéens réalisés sur la Côte d’Azur par Ferdinand Bac dans les années 30. Quand l’éclectisme des formes se conjugue à l’exotisme des couleurs pour bousculer l’ordinaire du paysage francilien. 

Trésors et coulisses du Château de Sceaux, à partir du 19 septembre aux Anciennes Écuries.

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