Les jeunes patients de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (AP-HP) bénéficient de moments d’évasion au centre de loisirs Aquarelles, financé par le Département. Une parenthèse de légèreté dans un quotidien médicalisé.
Par Pauline Vinatier
Interrogé sur son activité préférée, Gabin* n’hésite pas une seconde. « Château ballon !, s’exclame-t-il. Il faut toucher les adversaires avec un coussin en mousse, ceux qui ont été éliminés retournent dans leur base. On peut aussi envahir la base adverse ! » Ces forteresses faites de tapis de gym ont en effet de quoi enflammer une imagination de dix ans. À l’image d’autres petits patients, Gabin fréquente assidûment ce centre de loisirs. « Il y a une bonne ambiance, pendant les temps calmes on joue aux legos, on s’amuse avec les animateurs et les copains. » Issus des différents services de pédiatrie (Brezin 1, 2, 3, 4), suivis pour certains au Centre de référence des troubles du langage et des apprentissages (CRTLA), ces enfants présentent des troubles du neurodéveloppement plus ou moins sévères et visibles. Les mercredis et pendant les vacances scolaires, ils s’extraient ici d’un quotidien parfois lourd et éreintant.
Aquarelles partage ses locaux, dans l’enceinte de l’hôpital, avec l’établissement régional d’enseignement adapté (EREA) Jacques-Brel. Ces deux structures indissociables accueillent environ quatre-vingts enfants de trois à seize ans, sous la responsabilité d’un personnel de direction de l’Éducation nationale. « Ces enfants ont été orientés en hôpital de jour parce qu’ils ne pouvaient pas être rééduqués en ville avec cette intensité. Entre les temps de rééducation (kinésithérapie, ergothérapie, orthophonie…Ndlr), ils suivent une scolarité adaptée et se rendent à l’accueil de loisirs quand l’école est fermée. C’est une façon d’assurer la continuité de la prise en charge tout au long de la semaine », explique la cheffe d’établissement, Élise Vien. Les activités de loisirs ont été financées par le Département dès la création de l’EREA en 1993 – de nos jours à hauteur de plus de 300 000 euros par an. Depuis 2007 et la naissance sur le papier d’Aquarelles, un partenariat associe la collectivité, les Pupilles de l’Enseignement Public des Hauts-de-Seine, œuvrant pour l’inclusion par l’éducation et les loisirs et gestionnaires du centre, l’Éducation nationale, l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) et la Région.

SOUVENIRS COMMUNS
Au sortir du taxi ou de l’ambulance et passé un contrôle médical de routine, ils sont en moyenne une trentaine à fréquenter le centre les mercredis. Dans les trois salles du rez-de-chaussée, une par tranche d’âge, les murs couverts de dessins et de fresques en disent davantage qu’un long rapport d’activité. « On fait aussi bien des activités manuelles, des jeux éducatifs, de la cuisine, du sport, des grands jeux, de la relaxation, explique Lucas Soto, coordinateur de l’accueil de loisirs. On ne se refuse rien mais les activités sont adaptées à nos publics qui ont différentes mobilités, différentes manières de réfléchir ou de s’exprimer pour que tous puissent vivre un moment de partage et créer des souvenirs ensemble. » Il s’agit par exemple d’utiliser des gouttières pour jouer à la pétanque, de « peindre à la bouche » avec un enfant atteint de troubles moteurs importants, de coincer des cannes dans les fauteuils pour une partie de curling inclusive… et l’écoute et l’entraide font le reste. « On leur apprend dès qu’ils entrent ici à aider le camarade, à pousser le fauteuil, à expliquer ou à guider », reprend le responsable. Autres différences, les arrivées au fil de l’eau et les absences par petites touches pour suivre les besoins de la rééducation et le détachement sur place de deux infirmiers et d’un aide-soignant, figures familières présentes à l’EREA en semaine, chargés d’administrer les traitements, de soigner les bobos et prêts à parer à toute urgence.


PATIENCE ET EMPATHIE
Un autre mode d’intervention voit les animateurs « monter » au service de réanimation pédiatrique Letulle 3 pour tenir compagnie aux enfants restés seuls le week-end et pendant les vacances scolaires. « Le public au chevet est fluctuant et hétéroclite. On essaie de trouver des activités susceptibles de plaire à n’importe quel âge, qui leur feront oublier qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux », explique Lucas Soto. Il s’est fait, grâce aux tablettes équipant les chambres, une spécialité des bacs en réseau (un jeu de société, Ndlr) et initie à des parties de pétanque en fauteuil dans les couloirs ! « La semaine, il y a auprès d’eux des éducateurs de jeunes enfants mais, dans ces moments-là, nous sommes les seuls à ne pas porter de blouses blanches, leur seule attache avec le monde réel. »
La patience, l’empathie et une compréhension du handicap sont bien entendu requises de la part des animateurs d’une telle structure. Avec les tout-petits, Nadine Hochart déploie en plus des trésors de pédagogie. « Beaucoup d’entre eux sont non verbaux mais ils nous comprennent. Avant une activité, je leur montre des tutos sur mon téléphone et il m’arrive d’utiliser la langue des signes. » Jamais à court d’inspiration, elle leur a fait réaliser ce jour-là un « bonhomme à bascule ». « Il ne leur restait qu’à coller les bandelettes de papier que j’avais préparées mais ils étaient très concentrés. » De telles activités manuelles alternent avec la sieste, la lecture et les jeux en salle de motricité ou dans le mini-gymnase, à l’étage. « Beaucoup, chez les plus jeunes, souffrent de paralysie cérébrale avec des atteintes cognitives plus ou moins sévères. Nous travaillons avec eux des objectifs adaptés autour du vivre-ensemble et de l’acquisition de l’autonomie », précise Élise Vien.
L’accueil ne fonctionne pas en vase clos et, en plus des sorties organisées (bowling, piscine, parc…), nombreuses sont les personnalités à venir au-devant des enfants. « Nous avons la chance d’avoir de nombreux partenaires agréés comme Tout le monde contre le cancer, Rêves de cinéma ou Soutien Enfant Malade… L’association Premiers de Cordée nous a même permis de faire venir Kylian Mbappé pour une activité foot ! » Il y a peu, les moyens et les grands rencontraient la para-athlète Céline Gerny par l’intermédiaire de la réalisatrice Caroline Kim-Morange – ils préparent avec cette dernière un film en stop motion façon Wallace et Gromit, mettant en scène des monstres en pâte à modeler. La cavalière, suivie au pôle parasport santé de Garches, a expliqué à son assistance captivée comment se faire comprendre d’un équipier à quatre pattes : « Un cheval est un très gros animal, on ne peut pas lutter contre lui par la force. Je leur ai parlé de ce que je mettais en place pour qu’il adhère à mon projet, comme la communication non verbale, le soin et l’attention. J’espère qu’ils vont pouvoir le transposer aux monstres de leur histoire. »
Quant à la pâtisserie, toutes les deux semaines, ce n’est pas l’activité la moins appréciée. Le gâteau au chocolat du jour, confectionné en musique par des marmitons survoltés et rieurs, sera dégusté dans un silence religieux au goûter. « Il y a des fois où ils décrochent et où il est assez compliqué de les tenir, explique Oscar Vanbelle, animateur de l’atelier. Le plus gratifiant pour moi, c’est de sentir qu’ils me suivent, que l’on n’a perdu personne et qu’ils sont heureux d’être là. »
*Le prénom a été modifié